Latin du Moyen Âge, latin de l’époque moderne et enseignement (VIIe Congrès de la Société d’Études Médio et Néo-Latines, Toulouse)

Notre VIIe congrès va avoir lieu à Toulouse du mercredi 13 au samedi 16 mars 2024.

L’objet du congrès est d’interroger les liens étroits que les corpus latins du Moyen Âge et de l’époque moderne entretiennent avec l’enseignement. En effet, de nombreuses œuvres latines, après l’Antiquité, sont nées dans un contexte de transmission de la culture lettrée. Certaines concernent directement des activités d’enseignants : la transmission de la langue latine ou grecque, la lecture et le commentaire des œuvres classiques, l’élaboration d’œuvres didactiques destinées à former de jeunes esprits, notamment par la grammaire et par la rhétorique. D’autres portent la marque de cette culture scolaire ou universitaire, tout en explorant des voies plus autonomes, voire en s’en démarquant ouvertement, par l’humour ou la parodie.

 

Les différentes sessions du congrès aborderont ainsi l’enseignement du latin et du grec, de l’an 1000 au XVIe siècle, les pratiques de professeurs-auteurs, la place privilégiée du théâtre en latin comme moyen d’enseignement, des traités et questions pédagogiques, comme l’éducation des femmes. Elles exploreront aussi le cas fréquent d’œuvres « mixtes », où se mêlent fins pédagogiques et ambitions littéraires.

Programme :

Programme 7e congrès SEMEN-L

Cliquez ici pour télécharger le programme.

Programme en version texte

Mercredi 13 mars 2024, Université Toulouse – Jean Jaurès

13h45   Accueil

14h00  Ouverture du congrès

Session 1 : Enseigner le latin et le grec, de l’an 1000 au xvie siècle

14h30   Jean-Yves Tilliette (Université de Genève) : « Une salle de classe dans l’Angleterre des environs de l’An mil : les Colloques d’Aelfric Bata »

14h55 Céline Robert (Université de Caen Normandie, craham) : « L’épître V de Raoul Tortaire (xie-xiie siècle), un témoignage sur l’enseignement et sur la relation entre maître et disciple au Moyen Âge »

15h20 Discussion – Café

16h15 Kevin Bovier (Université de Fribourg) : « Latina apud omnes inoleuit : latin et enseignement dans la Suisse du xvie siècle »

16h40 Federica Rossetti (Ludwig Boltzmann Institute for Neo-Latin Studies) : « Celio Secondo Curione. L’éducation des jeunes et l’enseignement du Latin au temps de la Réforme »

17h05 Alexia Dedieu (Université Grenoble Alpes, Litt&Arts) : « Les travaux pédagogiques de Michael Neander : l’utilisation des auteurs anciens par la ‘Schola Neandrina’ »

17h30 Discussion.

Jeudi 14 mars 2024, Université Toulouse – Jean Jaurès

Session 2 : Corpus et arrière-plan pédagogique : questionnements

9h30 Astrid Quillien (Université Sorbonne Nouvelle, firl) : « Denis Lambin pédagogue dans ses éditions d’auteurs anciens, ses traductions et ses orationes »

9h55 Lorène Bellanger (Sorbonne Université) : « Les Carmina de Jean Commire (1678), un recueil néo-latin scolaire ? »

10h20 Discussion – Café

11h15 Martine Furno (Ens Lyon, ihrim) et Christiane Deloince-Louette (Université Grenoble Alpes, Litt & Arts) : « Methodo … accinctus, ou comment éclaircir les ténébrosités d’une épigramme »

11h40 Discussion

13h-13h45

« Ludus ! Quand l’école était un jeu »

Lecture-spectacle de textes des xve-xviiie siècle en traduction française par des étudiants de l’Université Toulouse – Jean Jaurès sous la direction de Ph. Chométy, M. Ferrand et A.-H. Klinger-Dollé

Gratuit et ouvert à tous.

Session 3 : Pratiques de professeurs et pratiques institutionnelles

14h30 Marie-Agnès Lucas-Avenel (Université de Caen Normandie, craham) : « Les satires de Garnier de Rouen contre des maîtres de grammaire et de musique (début du xie siècle) »

14h55 Thomas Penguilly (Académie de Normandie) : « Rhétorique, poésie et enseignement dans l’œuvre d’André Alciat »

15h20 Marie Jeannot-Tirole (Université de Strasbourg, ilbr) : « Sapidus dans la Sylua epistolaris seu Barba. La résurgence du pédagogue derrière le poète »

15h45 Discussion – Café

16h40 David Amherdt (Université de Fribourg) : « L’enseignement dans la biographie et l’autobiographie à Zurich au xvie siècle »

17h05 Hannelore Pierre (Université Bordeaux Montaigne, ausonius, Centre Montaigne) : « Éditer un poète-professeur : quelques indices de pratiques pédagogiques au collège de Guyenne d’après l’édition commentée d’Ausone par Élie Vinet (1580) »

17h30 Anne Bouscharain (Université Bordeaux Montaigne, ur 24142 Plurielles – Centre Montaigne) : « Les mathématiques au collège de Guyenne à travers l’exemple d’Élie Vinet (Ex mathematico Pselli breuiario, 1554 et Logistica, 1573) »

17h55 Discussion

Vendredi 15 mars 2024, Université Toulouse – Jean Jaurès

Session 4 : Théâtre néo-latin et enseignement

9h00 Carine Ferradou (Aix-Marseille Université, caer) : « Présences de Plaute dans la tragédie sacrée Iephthes siue Votum de George Buchanan : à la croisée des enjeux pédagogiques et littéraires »

9h25 Théo Gibert (Université Jean Moulin Lyon 3, ihrim) : « Le style de Nicolas Caussin dans les Tragoediae Sacrae (1620) »

9h50 Discussion – Café

10h45 Mathieu Ferrand (Université Grenoble Alpes, Litt&Arts) : « Voyage au ‘Pays latin’ : le choix de la langue dans les spectacles des collèges parisiens d’Ancien régime (xvii-xviiie siècles) »

11h10 Laure Hermand-Schebat (Université Jean Moulin Lyon 3) et Pascale Paré-Rey (Université Jean Moulin Lyon 3, hisoma) : « L’argument, outil didactique néo-latin, au service de la pédagogie aujourd’hui »

11h35 Discussion

12h00 Clément Bur (Université Toulouse – Jean Jaurès, plh-erasme) : « Présentation de la revue toulousaine Anabases. Traditions et réceptions de l’Antiquité »

Session 5 : Questions et réflexions éducatives

14h30 Séverine Clément-Tarantino (Université de Lille, hisoma) : « Laura Cereta (1469-1499) et l’éducation des femmes »

14h55 Émilie Séris (Sorbonne Université) : « Pédagogie et psychologie : la lettre De ira d’Ange Politien »

15h20 Discussion – Café

16h15 Béatrice Charlet-Mesdjian (Université Aix-Marseille, caer) : « Éducateurs et Éducation chez les Strozzi, père et fils »

16h40 Discussion

Samedi 16 mars 2024

Hôtel d’Assézat, Académie des Sciences et Belles Lettres de Toulouse, salle Clémence Isaure, 9h30-11h30

Accès libre

Accueil par l’Académie des Sciences et Belles Lettres

Table ronde

Les textes latins écrits « après l’Antiquité » : quels atouts pour l’enseignement et la recherche actuels en Humanités ?

Organisée par François Ploton-Nicollet (École nationale des Chartes)

Avec la participation de :

Séverine Clément-Tarantino (Université de Lille, hisoma) : Le cercle de latin vivant en ligne CLIO

Anne-Hélène Klinger-Dollé (Université Toulouse – Jean Jaurès, plh) : Construire un site internet pédagogique à partir de corpus néo-latins : Imago. Lire du latin illustré

Virginie Leroux (École Pratique des Hautes Études) : Enseigner la littérature néo-latine à l’École Pratique des Hautes Études

Marie-Agnès Lucas-Avenel (Université de Caen Normandie, craham) : Latin médiéval et Humanités numériques

Smaranda Marculescu (ENS Lyon, ihrim) : « Neolatinlyon », une école thématique au service du néo-latin.

Comité organisateur

Philippe Chométy, Université Toulouse – Jean Jaurès
Lucie Claire, Université Picardie – Jules Verne / Institut universitaire de France
Jean-Christophe Courtil, Université Toulouse – Jean Jaurès / Institut universitaire de France
Mathieu Ferrand, Université Grenoble – Alpes
Anne-Hélène Klinger-Dollé, Université Toulouse – Jean Jaurès / Institut universitaire de France
Alice Lamy, Classes préparatoires, Lycée Montesquieu du Mans
François Ploton-Nicollet, École nationale des Chartes

Archives

Pour consulter l’appel à communication du congrès : https://www.semen-l.org/?p=2638

Parution des Œuvres Complètes de Jean Second chez Droz

La Société d’Études Médio- et Néo-latines a le plaisir d’annoncer la parution à la Librairie Droz des Œuvres Complètes de Jean Second en quatre volumes issus d’un travail de longue haleine. La direction scientifique a été assurée par Perrine Galand-Willemen et Virginie Leroux, l’édition a été effectuée par Werner Gelderblom et Pierre Tuynman ; l’ensemble réunit le travail d’Anne Bouscharain, Nathalie Catellani, Karine Descoings, Louise Katz, Suzanne Laburthe, Sylvie Laigneau-Fontaine, Arnaud Laimé, Catherine Langlois-Pézeret, Olivier Pedeflous, Sandra Provini, Astrid Quillien, Anne Rolet, Stéphane Rolet, Emilie Séris, Aline Smeesters. Cette édition de référence (ISBN 978-2-600-06354-8) comprenant 3100 pages rejoint la collection « Travaux d’Humanisme et Renaissance » ; elle peut être commandée sur le site de la Librairie Droz : https://www.droz.org/9782600063548.

Présentation par la Librairie Droz

Jean Second (Janus Secundus, 1511-1536) est l’un des poètes néo-latins de la Renaissance les plus doués de sa génération et l’un de ceux qui ont eu la plus grande influence sur la littérature européenne. Surtout connu pour ses Baisers, poèmes érotiques à succès, Second a laissé en réalité, malgré sa courte vie, une œuvre variée et ambitieuse, écrite dans un latin éblouissant, élaborée avec un soin tout stratégique pour obtenir une place de choix à la cour de Charles Quint. Issu d’une famille en pleine ascension sociale, il cultiva un réseau de savants, d’hommes de lettres et d’artistes dont témoignent ses poèmes, ses récits de voyage, sa correspondance et les médailles qu’il grava. Le texte latin édité est celui du manuscrit préparatoire d’Oxford (le plus fidèle aux choix de Second), en partie autographe, parfois transcrit ou remanié par les frères du poète, Marius et Grudius. Une équipe de spécialistes s’est constituée pour éditer, traduire et analyser cette œuvre remarquable, en corrigeant l’image un peu mièvre d’amoureux passionné véhiculée par une critique héritière du romantisme.

Vidéo de présentation de l’œuvre de Jean Second

Nous vous proposons de visionner cette vidéo (2021) produite sous l’égide de la Fondation Antoine et Marie-Hélène Labbé pour la Poésie, de l’Association Humanisme et Renaissance et des Éditions Droz : Virgine Leroux, actuellement présidente de la SEMEN-L, y présente l’écrivain et ses écrits ; la comédienne Estelle Meyer y déclame des textes choisis.

Sommaire des volumes

VOLUME I

AVANT-PROPOS par Perrine GALAND-WILLEMEN

INTRODUCTION GÉNÉRALE JEAN SECOND (1511-1536), POÈTE DE CHARLES QUINT

Les étapes d’une carrière éclair par Perrine GALAND-WILLEMEN et Virginie LEROUX

Les portraits de Jean Second par Perrine GALAND-WILLEMEN

Étude d’ensemble sur la poétique de Jean Second par Virginie LEROUX

Le latin de Jean Second par Werner GOLDERBLOM

Brève histoire des éditions de Jean Second par Perrine GALAND-WILLEMEN

Principes de notre édition par Werner GOLDERBLOM

Répertoire prosopographique par Anne BOUSCHARAIN, Perrine GALAND-WILLEMEN, Virginie LEROUX et Aline SMEETERS

Médailles gravées par Jean Second par Perrine GALAND-WILLEMEN et Virginie LEROUX

« ELEGIAE » / ÉLÉGIES

Introduction par Virginie LEROUX et Émilie SÉRIS

Bibliographie restreinte

LIVRE 1 DES ÉLÉGIES INTITULÉ JULIE

LIVRE 2

LIVRE 3

Tables des illustrations

Index nominum

VOLUME II

« FUNERA » / TOMBEAUX

Introduction par Nathalie CATELLANI, Catherine LANGLOISPÉZERET, Virginie LEROUX, Anne ROLET et Stéphane ROLET

Bibliographie restreinte

EPIGRAMMATUM LIBER UNUS / LE LIVRE D’ÉPIGRAMMES

Avertissement

Abréviations bibliographique courantes

Introduction par Anne ROLET et Stéphane ROLET, avec la collaboration de Werner GELDERBLOM

Annexes

IOANNIS SECUNDI HAGIENSIS EPIGRAMMATUM LIBER UNUS LE LIVRE D’ÉPIGRAMMES DE JEAN SECOND, DE LA HAYE

Tables des illustrations

Index nominum

VOLUME III

« BASIA » / BAISERS

Introduction par Perrine GALAND-WILLEMEN

Bibliographie restreinte

« EPISTOLAE » / ÉPÎTRES

Introduction description du recueil par Arnaud LAIMÉ et Astrid QUILLIEN

Bibliographie restreinte

ÉPÎTRES LIVRE 1

ÉPÎTRES LIVRE 2

« ODARUM LIBER » / LIVRE DES ODES

Introduction par Suzanne LABURTHE

Bibliographie restreinte

Index nominum

VOLUME IV

« SYLVAE » / SYLVES

Introduction par Colin FRAIGNEAU, Louise KATZ, Olivier PÉDEFLOUS, Sandra PROVINI et Aline SMEESTERS

Bibliographie restreinte

LETTRES EN PROSE

Introduction par Sylvie LAIGNEAU-FONTAINE

Bibliographie restreinte

Synopsis des lettres en prose de cette édition

« ITINERA TRIA » / TROIS RÉCITS DE VOYAGE

Introduction par Anne BOUSCHARAIN, Karine DESCOINGS et Aline SMEESTERS

POÈMES CONSACRÉS À LA MORT DE JEAN SECOND

Introduction par Anne BOUSCHARAIN

Index nominum

Alain de Lille, Anticlaudianus, éd. et trad. par F. Rouillé, Genève, Droz, 2023 (Pascale Bourgain)

Alain de Lille, Anticlaudianus, édité et traduit par Florent Rouillé, Genève, Droz, 2023. In-8°, 828 p. ISBN : 978-2-600-06335-7

 Ce compte-rendu de Pascale Bourgain a été publié dans le Bulletin de liaison n°21 (2023) de la SEMEN-L (p. 44-46).

« S’attaquer à l’Anticlaudianus demande un certain courage, tant l’auteur reste secret, son style complexe et ses intentions bien masquées. Les anglosaxons s’y sont déjà essayés à trois reprises, sans réduire toutes les perplexités qui grèvent sa compréhension, mais ceci est la première traduction française. L’édition est celle de Bossuat, avec quelques retouches notamment pour la ponctuation, mais il faut se reporter à celle- ci pour tout détail sur la tradition du texte, les retouches étant généralement celles suggérées par l’édition de Sheridan.

Indubitablement, l’ouvrage est le résultat de longues années de recherche, illustrées par des articles antérieurs. De cette longue maturation, il reste quelque chose, qui ne rend pas l’exploitation de cet ouvrage plus facile. Sans parler du décalage du compte des vers au prologue du livre I, apparemment inclus dans la numérotation des vers tardivement, cette rectification n’ayant pas toujours été répercutée, un manque de coordination entre les différentes parties fait que le texte est traduit et donc commenté différemment en différents endroits, introduction, édition et notes, dénotant des changements de parti en cours de rédaction. Par exemple, l. IX, v. 411, le texte porte ad hoc comme l’édition Bossuat, la traduction choisit adhuc d’une partie des manuscrits, la n. 202 affirmant qu’est retenue la version adhuc, qui n’est pas reportée dans le texte. Généralement la traduction du corps de l’ouvrage semble plus mûrie que celle de l’introduction (comparer p. 192 et 514). C’est pourtant celle-ci qui est commentée. Et il est troublant de trouver fréquemment des interprétations divergentes dans l’introduction et dans les notes, ou même un texte latin différent (197 et 573).

Comme il se doit, l’introduction commence par mettre en place la personnalité de l’auteur, ce qui n’est pas chose facile. Il y a plusieurs Alain de Lille, le théologien, le philosophe et le poète, mais de plus, pour les biographes acharnés à trouver son état civil, celui qui est né à Lille et a été connu comme enseignant à Paris et un moment à Montpellier, l’anglais qui a fait carrière auprès de Thomas Becket qui a été écarté après sa mort (Alain de Tewkesbury), dernièrement un autre né en Bretagne. Enterré à Cîteaux en 1203, c’est la seule chose à peu près sûre. Fl. Rouillé tente de débrouiller cet écheveau en présentant les hypothèses successives et leurs inconvénients, sans vouloir exclure totalement aucune possibilité. (Remarquons que, si Alain se désigne comme magister Alanus, cela signifie qu’il est au moins maître ès arts, qu’il est donc obligatoirement clerc, ayant reçu les ordres mineurs, et que l’expression « entrer dans les ordres », pour un clerc qui entre au monastère, est impropre. La carrure sociale d’un grand clerc capable d’enseigner, de prêcher, d’écrire des ouvrages théologiques, même s’il n’est pas inscrit parmi les maîtres en théologie tenant chaire, lui ouvre nombre de fonctions et de positions.)

Le titre lui-même du poème est volontairement une énigme, même pour les premiers lecteurs et commentateurs. Anticlaudianus peut faire référence au Contra Rufinum du poète Claudien, mais Fl. Rouillé montre qu’Alain connaît fort bien aussi Claudien Mamert, auteur au Ve siècle d’un De statu animae, et qu’il a pris (silencieusement) le thème de l’un (le concile des Vices, qu’il transforme en concile des Vertus) et le sujet de l’autre. Il montre ensuite l’influence de l’Ars versificatoria de Mathieu de Vendôme, seul art poétique médiéval antérieur à l’Anticlaudianus, notamment pour les descriptions et l’allégorie ; l’écho de la Cosmographia de Bernard Silvestre et celui de Martianus Capella ; l’influence stylistique de Sidoine Apollinaire ; le souvenir, qu’il juge conflictuel, de la Psychomachia de Prudence ; le tout en pleine liberté, car l’imitation est le nom que donnent les médiévaux à leur (re)création poétique. Bon lecteur de Genette, Fl. Rouillé appelle palimpseste cette façon de s’approprier et de réécrire, et détaille les divers hypotextes pour conclure qu’en cherchant à combiner les doctrines chartraines à tendance platoniciennes avec la théologie, dans une épopée combinant « les formes apparentes de la littérature païenne et la profondeur des dogmes chrétiens » (p. 207), il a renouvelé la démarche intellectuelle de Claudien Mamert et son intégration d’idées platoniciennes à la doctrine chrétienne.

Je voudrais, parce que cela a une conséquence sur l’interprétation générale, revenir sur un passage de la préface. Bien que la traduction de celle-ci ait fait l’objet de plusieurs versions, l’une en introduction, l’autre dans le corps de l’ouvrage, elles ne me satisfont toujours pas, et j’en reviens en la précisant à la version que j’en avais donnée en 2005 (Le latin médiéval, Atelier du médiéviste, p. 518). Reprenons le texte :

Quae ad hoc opus non nauseantis animi fastidio ductus, non indignationis tumore percussus, sed delectatione novitatis illectus, lector accedat, ut, quamvis liber vernantis eloquii purpuramento non floreat et fulgurantis sententie sydere non clarescat, tamen in fragilis calami tenuitate mellis possit suavitas inveniri, et arescentis rivuli modicitate sitis ariditas temperari ; in hoc tamen nulla vilitate plebescat, nullos reprehensionis morsus sustineat, quod modernorum redolet ruditatem, qui et ingenii preferunt florem et diligentie efferunt dignitatem, cum pigmea humilitas excessui superposita giganteo, altitudine gigantem preveniat et rivus a fonte scaturiens in torrentem multiplicatus excrescat.

Il est évident que c’est le livre, dernier cité, et non le lecteur, qui est le sujet des verbes plebescat et sustineat, comme dans les deux traductions proposées (p. 107 et 248), parce que la phrase a été tournée de façon que le lecteur devienne aussi le sujet des tournures passives suavitas inveniri et ariditas temperari. Or, puisque le livre est le sujet de plebescat et sustineat (ce qui évite d’avoir à torturer la traduction de sustineat, ‘que le lecteur ne retienne aucune critique mordante’, et d’interpréter in hoc comme ‘dans ce livre’, alors que c’est simplement l’annonce de quod), il est aussi le sujet de redolet, à l’indicatif, qui est traduit par un conditionnel, ‘parce qu’elle sentirait’, p. 108, et par une tournure verbale, ‘contre le grossier parfum des modernes’, p. 248. Mais c’est bien le livre d’Alain qui est moderne (comme l’indique l’indicatif), et le vocabulaire de la description des modernes peut aussi bien être pris en bonne part qu’en mauvaise. De ce fait l’allusion topique aux nains sur les épaules des géants est entièrement positive, elle ne fait que continuer, très naturellement, le topos de modestie par l’espoir d’aller plus loin encore que les prédécesseurs, en valorisant la nouveauté, sans qu’il soit besoin de considérer qu’Alain la déconstruit ou la renverse. Je propose :

Que (sans dégoût ni indignation…), mais charmé par le plaisir de la nouveauté, le lecteur aborde cet ouvrage en sorte que, bien que ce livre ne soit pas fleuri des couleurs d’un langage printanier et ne brille pas de l’éclat d’une pensée fulgurante, la douceur du miel cependant se puisse rencontrer dans la minceur de mon fragile roseau, et l’aridité de la soif se tempérer dans le peu d’eau de mon faiblissant ruisseau ; que [ce livre] cependant ne soit avili par aucune dépréciation, qu’il ne supporte aucuns reproches mordants du fait qu’il respire la rude simplicité des modernes : ceux-ci montrent la fine fleur de leur talent et démontrent la haute valeur de leur recherche, puisque la petite taille d’un pygmée, ajoutée à la taille démesurée d’un géant, dépasse celle-ci, et que le ruisseau jaillissant de la source grossit, transformé en torrent (ce qui est exprimer sa confiance dans les capacités futures du ruisseau au faible débit, arescentis rivuli, de son inspiration).

Voir dans ces termes une condamnation méprisante des poètes modernes oblige en sus à expliquer pourquoi la comparaison des nains sur les épaules des géants est ici dévalorisante, et à conclure qu’Alain la détourne avec malice (p. 108). Mais c’est lire le texte avec des parti pris d’interprétation. L’expression modernorum ruditatem a été rapprochée des mauvais poètes, identifiables avec Joseph d’Exeter et Gautier de Châtillon, vilipendés en I, 174-179. Mais ils n’y sont aucunement appelés poètes modernes, au contraire, il découle de la préface, lue selon la syntaxe, que la modernité est celle de l’Anticlaudianus, qui se réclame en tout cas à plusieurs reprises de sa nouveauté de conception : les deux mots (novitas, modernitas) sont une variation lexicale. Les anciens, ce sont ses concurrents qui reprennent des sujets antiques. Alain identifie la nouveauté qu’il revendique et la modernité. On pourrait même voir dans le vers 1 du prologue (Autoris mendico stilum) sa compréhension de l’apologue des nains et des géants et de l’appropriation qu’il fait de l’héritage littéraire : il demande à l’auteur reconnu (Claudien) son stilet, au poète (Claudien, Prudence ?) ses ornements stylistiques (et en conséquence, le passage au statut d’auteur, mais avec l’humilité requise), pour les renouveler par la joyeuse nouveauté de l’écriture (scribendi novitate gaudet, v. 9).

Ainsi les considérations, souvent reprises, sur le dédain d’Alain envers « la facilité des poetæ moderni à produire leurs textes, dont le clinquant n’est que superficiel, sans profondeur de sens » (p. 781), sont des extrapolations. L’utilisation d’une junctura horacienne pour qualifier Ennius/Joseph d’Exeter ne suffit pas non plus à conclure qu’il lui reproche son incorrection métrique, alors qu’il lui reproche clairement son sujet. Malgré les ‘manifestement’, les ‘on en déduira’, les ‘semble donc’, les interprétations qui fondent l’analyse littéraire sont à prendre avec la plus grande prudence, y compris celles qui portent sur d’autres auteurs, comme un passage de Mathieu de Vendôme, Ars versificatoria, p. 106, où un contresens sur un mot (l’adverbe metrice, pris pour un nominatif pluriel ; voir une traduction différente p. 140) transforme une condamnation des exercices scolaires de réécriture en vers en retour à des formes métriques classiques. On ne s’attardera pas sur d’autres traductions inexactes, étant donné la difficulté et la longueur du texte ; certaines n’ont d’ailleurs guère d’importance pour l’interprétation, mais il faut se rappeler le risque de construire sur du sable en se fiant trop à une traduction. Les nombreuses références à la malice ou à l’ironie d’Alain, qui constamment ‘déconstruit’ ou ‘renverse’, devraient nous rappeler que bien souvent nous supposons de l’ironie lorsque nous avons du mal à comprendre.

On se méfiera de même de certaines interprétations qui, à force d’être reprises, finissent par gagner une vraisemblance que leur origine ne justifie pas. L’opposition aux Plantagenêts est de ce nombre. Elle ne repose que sur l’identification de Néron, Midas, Ajax, Pâris et Davus à Henri II et à ses quatre fils (I, v. 180- 192), pourtant présentée avec réticence (p. 305), ce qui n’empêche pas de parler de l’allégorie politique que représente ce passage comme évidente (p. 110, n. 339), et de le prendre en considération comme renforçant l’identification avec Alain de Tewkesbury, protégé de Becket et opposé à Henri II. (Il est possible que l’identification de l’Homo novus avec Philippe Auguste, qui a été tentée par des historiens, joue aussi, bien qu’elle ne puisse être prise au sérieux en regard de l’orientation philosophique de l’allégorie.) Mais si l’identification des mauvais poètes avec ses rivaux littéraires est claire et bien inscrite dans le texte, celle avec des princes détestés serait bien peu perceptible : il est plus probable qu’Alain a tout simplement eu besoin, pour figurer la dégénérescence qu’il déplore, de figures négatives, traditionnellement représentant par antonomase tyrannie, avidité, brutalité, luxure et laideur, à opposer aux modèles positifs qu’il vient d’énumérer. Il faudrait des intentions politiques contemporaines plus nettes (et justement Alain de Lille ne dédicace son œuvre à personne, joue de l’intemporalité, se tient en dehors apparemment de tout réseau) pour en conclure à une prise de position anti-Plantagenêt.

Malgré la prudence nécessaire, l’ouvrage rendra les plus grands services, notamment pour la mise en place des sources et leur combinatoire. S’être donné la peine de comparer avec les autres œuvres d’Alain de Lille et notamment la Summa Quoniam homines, permet de se faire une idée bien documentée de ses conceptions et de son usage des mots, en donnant à sa personnalité une cohérence autrement difficile à percevoir. La partie de l’introduction qui montre que le titre renvoie sans doute aux deux Claudiens, connus et utilisés par Alain, et l’analyse des différents éléments de réécriture et de renouvellement fournis par cet ouvrage complexe et d’une richesse stylistique et conceptuelle exceptionnelles, est d’un très grand intérêt. Fl. Rouillé donne des clés qui fournissent une voie d’accès pour ne pas se noyer en plongeant dans l’univers fourmillant d’Alain de Lille, et même si les intentions de ce dernier ne sont pas encore toutes fermement établies, la grille de lecture est assurément fort enrichie ».

Pascale Bourgain

Agrippa d’Aubigné, Œuvres, Tome VIII – Poésies politiques, satiriques, Poemata, Poésies de Constant d’Aubigné, Édition de Jean-Louis Charlet, Béatrice Charlet-Mesdjian et Jean-Raymond Fanlo, Paris, Classiques Garnier, Textes de la Renaissance, N° 241, 2022, 722 p., 15 x 22 cm, broché : ISBN 978-2-406-12147-3 ; relié : ISBN 978-2-406-12148-0.

Agrippa d’Aubigné, Œuvres, sous la direction de Jean-Raymond Fanlo, Marie-Madeleine Fragonard et Gilbert Schrenck : Tome VIII – Poésies politiques, satiriques, Poemata, Poésies de Constant d’Aubigné, Édition de Jean-Louis Charlet, Béatrice Charlet-Mesdjian et Jean-Raymond Fanlo, Paris, Classiques Garnier, Textes de la Renaissance, N° 241, 2022, 722 p., 15 x 22 cm, broché : ISBN 978-2-406-12147-3 ; relié : ISBN 978-2-406-12148-0.

Ce tome contient la première édition critique de la poésie politique, satirique et ludique d’Agrippa d’Aubigné, ainsi que de la poésie latine, avec traduction. Des inédits sont publiés, de fausses attributions sont réfutées. Des pans méconnus ou ignorés d’une œuvre poétique majeure se révèlent.

Source : Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°20 (décembre 2022) de la SEMEN-L (p. 42).

Dignité des Artes : promotion et évolution des arts libéraux de l’Antiquité à la   Renaissance. Sous la direction de Alice Lamy, Anne Raffarin et Émilie Séris, Editions Honoré Champion, collection Colloques, congrès et conférences – le Moyen Âge, n° 30, Paris, 2022, 380 p., 1 vol., broché, 15,5 x 23,5 cm. ISBN 978-2-7453-5750-2.

Dignité des Artes : promotion et évolution des arts libéraux de l’Antiquité à la   Renaissance. Sous la direction de Alice Lamy, Anne Raffarin et Émilie Séris, Editions Honoré Champion, collection Colloques, congrès et conférences – le Moyen Âge, n° 30, Paris, 2022, 380 p., 1 vol., broché, 15,5 x 23,5 cm. ISBN 978-2-7453-5750-2.

Les interrogations actuelles sur la place des Humanités dans l’enseignement et dans la recherche invitent à réfléchir sur leur origine et sur leur histoire. L’objet des rencontres qui se sont tenues en mars et octobre 2019 au château d’Écouen et à la Sorbonne était de retracer quelques grandes étapes de la promotion et de l’évolution des artes de l’Antiquité à la Renaissance. En effet, la notion d’ars émerge progressivement dès l’époque hellénistique pour aboutir au système des sept arts libéraux à la fin de l’Antiquité. Régulièrement repensé au cours du Moyen Âge, le cycle des sept arts se voit bouleversé : la philosophie dispute à la théologie son ancien primat, comme élément unificateur des disciplines. À côté d’elles, la médecine et le droit se constituent au cœur du débat sur la classification des sciences et sur leur utilité. L’Humanisme, en affirmant la place centrale de l’Homme dans l’univers, a encore enrichi les artes d’une dignité nouvelle, reflet de la dignitas hominis, et a valorisé des disciplines spéculatives comme la philosophie, rationnelles comme la grammaire, la rhétorique et la poésie, ou pratiques comme l’architecture, la peinture et la sculpture.

Source : Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°20 (décembre 2022) de la SEMEN-L (p. 44).

Janus Pannonius, Épigrammes. Traduites et annotées, avec le texte latin en regard, par Etienne Wolff, Peeters Publishers, collection Latomus, volume 365, Bruxelles, 2021. 379 p., ISBN 978-90-429-4546-3.

Janus Pannonius, Épigrammes. Traduites et annotées, avec le texte latin en regard, par Etienne Wolff, Peeters Publishers, collection Latomus, volume 365, Bruxelles, 2021. 379 p., ISBN 978-90-429-4546-3.

Janus Pannonius (1434-1472), poète hongrois de langue latine, a été envoyé très jeune à Vérone pour étudier auprès de Guarino. C’est en Italie qu’il compose une bonne partie de sa production poétique. De retour en Hongrie, il est fait évêque puis chancelier par le roi Mathias Corvin. Ses Épigrammes sont certainement son œuvre la plus intéressante. Ces 456 pièces, dont il n’a pas organisé lui-même la publication, abordent des sujets variés ; une majorité d’entre elles est de nature satirique.

Dans cette édition, œuvre d’E. Wolff, le texte latin est emprunté, avec quelques corrections, à l’édition de Mayer (Budapest, 2006). La traduction est entièrement originale. L’annotation est conçue de telle sorte que l’ouvrage puisse être accessible à un public cultivé qui dépasse le seul cercle restreint des érudits.

Pannonius, au-delà de ses qualités littéraires, est intéressant par l’éclairage nouveau qu’il apporte sur l’Italie et la Hongrie du XVe siècle, et sur le premier humanisme.

Source : Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°20 (décembre 2022) de la SEMEN-L (p. 45).

Le nu dans la littérature de la Renaissance

La SEMEN-L a le plaisir de vous faire connaître la parution de : Le nu dans la littérature de la Renaissance, un ouvrage collectif sous la direction d’Émilie Séris, paru aux Presses Universitaires François-Rabelais, dans la collection « Renaissance ». Il est issu d’un colloque tenu à la Sorbonne du 22 au 24 novembre 2018.

Lien vers le site des PUFR.

Le nu a-t-il eu à la Renaissance le même succès dans la littérature que dans les arts ? Ce livre propose une première synthèse sur le sujet en identifiant une variété de nus dans les textes de la Renaissance et en analysant leurs modèles, leurs significations et leurs procédés d’écriture.

Retravaillant les exemples antiques et médiévaux, la littérature de la Renaissance a développé les fonctions comique et érotique du nu. En effet, dans la suite de la tradition médiévale, la dérision du corps s’exprime dans la nouvelle en langue italienne, dans l’épigramme latine, mais aussi parfois dans l’élégie ou dans les récits des grandes découvertes, mettant à nu la condition humaine. Toutefois, si le nu alimente à la Renaissance la satire des mœurs, il n’en continue pas moins de célébrer l’amour et la fécondité : littérature et arts perpétuent la fonction érotique du nu archaïque en l’adaptant aux cadres du mariage chrétien. Enfin, il apparaît que les nouvelles théorisations humanistes du corps, qui ont bouleversé sa figuration en art, ont aussi modifié les codes de sa description littéraire : les recherches sur la symétrie du corps humain, sur l’anatomie ou sur le mouvement n’ont pas manqué non plus d’influencer le nu dans la littérature de la Renaissance.

Encart de présentation et bon de commande

Sommaire

INTRODUCTION

PARTIE I – MODELES FIGURÉS, MODELES LITTÉRAIRES

Chapitre I – Histoires de nus et de nudité. Sur quelques anecdotes antiques. Valérie Naas

Chapitre II – Les nus sur la mégalographie dionysiaque de la villa des Mystères (Pompéi). Gilles Sauron

Chapitre III – Venus pudica. Portrait féminin et nudité dans la Rome impériale. Emmanuelle Rosso

Chapitre IV – Tableaux et statues de nus dans quelques textes grecs de l’époque impériale. Francesca Mestre.

Chapitre V – Le corps usé des vieilles femmes dans la littérature médiévale. Julien Maudoux.

PARTIE II – MISERE ET DIGNITÉ DE L’HOMME

Chapitre I – Les nudités dans le Décaméron de Boccace. Évrard Delbey

Chapitre II – Il nudo epigrammatico nella poesia umanistica. Donatella Coppini

Chapitre III – La comédie de la nudité dans les Amours de Conrad Celtis. Nicolas Casellato

Chapitre IV – La nudité animale. Identités renaissantes. Guillaume Cassegrain

Chapitre V – Primitivisme et nudité. L’homme demi-nu aux origines de la civilisation. Susanna Gambino Longo

PARTIE III – ÉROS, PAN OU HYMÉNÉE?

Chapitre I – Il nudo tra ethos familiare ad eros coniugale nella poesia di Giovanni Pontano. Giuseppe Germano

Chapitre II – Nuda agitans choros… Valeurs du nu féminin chez Garcilaso de la Vega. Roland Béhar

Chapitre III – La nudité de Suzanne dans une tragicomédie de Charles Godran. John Nassichuk

Chapitre IV – Symbolique érotique et gestuelle. Le topos de la femme au bras levé. Nadeije Laneyrie-Dagen

Chapitre V – Sommeil et nudité. Virginie Leroux

PARTIE IV – LA FABRIQUE DU NU

Chapitre I – Les théories artistiques de Leon Battista Alberti dans l’oeuvre de Cristoforo Landino. Thomas Baier

Chapitre II – Il corpo di Adone nel De hortis Hesperidum di Giovanni Pontano. Antonietta Iacono

Chapitre III – Nude e crude. Le nu féminin dans le Roland furieux. Gabriele Bucchi

Chapitre IV – Portraits de nus dans la poésie de la Pléiade (Ronsard et Baïf). Anne-Pascale Pouey-Mounou

Chapitre V – « Couvrez ce sein… » . Clément Marot et les blasons impudiques. Julien Goeury

Boulègue, L., Perrin, M., Veyrard-Cosme, Chr., Ascèse et ascétisme de l’Antiquité tardive à la Renaissance. Traditions et remises en causes, Paris, Classiques Garnier, 2021 (Jordi Pià-Comella)

Boulègue, L., Perrin, M., Veyrard-Cosme, Chr., Ascèse et ascétisme de l’Antiquité tardive à la Renaissance. Traditions et remises en causes, Paris, Classiques Garnier, 2021, 412 pages.

Les notions d’ascèse et d’ascétisme suscitent un regain d’intérêt, depuis notamment en France les célèbres études de P. Hadot, Exercices spirituels, et de M. Foucault, L’herméneutique du sujet. Les travaux rassemblés par L. Boulègue, Ch. Cosme et M. Perrin comblent une lacune majeure : ils offrent la première synthèse des théories et pratiques de l’ascèse de l’Antiquité tardive à la Renaissance jusqu’à la Contre-Réforme.

La tension, bien contextualisée dans l’introduction de l’ouvrage, entre le caractère mouvant des notions d’ascèse et d’ascétisme au cours du temps, et leur unité – on retrouve d’une époque à l’autre des motifs communs – a conduit logiquement les auteurs à opter pour une étude thématique en trois temps : d’abord, les théories et pratiques de l’ascèse ; ensuite, les écritures de l’ascèse ; enfin les figures de l’ascèse. Suivent une très riche bibliographie, deux indices des auteurs/ artistes et biblique, les résumés, ainsi qu’une table des figures. Les mérites de l’ouvrage sont multiples. D’abord, le livre apporte une profondeur diachronique inédite aux notions d’ascèse et d’ascétisme. On saisit beaucoup mieux, par exemple, tout ce que la poésie amoureuse et érotique d’un Pétrarque et d’un Ronsard doit au topos hiéronymien de l’ascète solitaire. Ensuite, le livre aborde le problème en couvrant un champ considérable de disciplines : de la littérature tardo-antique à la poésie médicale du XVe siècle, en passant par la patristique, la littérature mérovingienne, l’épistolaire érasmien, la philosophie humaniste, l’hermétisme ou l’architecture flamboyante d’un Jean de Felin. Le pari pluridisciplinaire est réussi : il nous permet, par exemple, de comprendre que la figuration de l’ascèse ne s’incarne pas simplement dans des personnes mais qu’elle peut aussi s’exprimer dans l’art monumental du XVIe siècle. Or, loin de sombrer dans la dispersion, Ascèse et ascétisme présente une cohérence forte : le choix des thèmes traités fait ressortir les permanences de certains motifs tout en en épousant les variations au fil du temps, d’un genre à l’autre, selon les sensibilités religieuses, idéologiques et esthétiques de chacun. Qu’il s’agisse de l’aspiration à la transcendance, qui passe souvent par le rejet de toutes les tentations terrestres, de l’opposition entre repli sur soi et ouverture aux autres, du choix entre une ligne dure de l’ascèse et une ligne modérée, ou bien de l’opposition entre simplicitas et exhibition. Tous ces motifs parcourent l’ensemble des articles, donnant une unité puissante, jamais rigide, au tout. Dans sa très belle préface au livre, M. Aurell résume l’esprit qui anime d’un bout à l’autre Ascèse et ascétisme : « L’ascèse prend ainsi de nouveaux visages. Quoi qu’il en soit de ses mutations, elle préside, aujourd’hui comme hier, au travail intellectuel de qualité, mais plus encore au dépassement personnel en quête d’un idéal supérieur ».

Jordi Pià-Comella Sorbonne-Nouvelle (CERAM ED 173) IUF

Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°19 (2021) de la SEMEN-L (p. 76-77).

Pomel Fabienne et Van de Meeren Sophie (dir.), Philosophie et fiction de l’Antiquité tardive à la Renaissance, Leuven, Peeters publishers, Collection Synthema, n°12, 2021

Pomel Fabienne et Van de Meeren Sophie (dir.), Philosophie et fiction de l’Antiquité tardive à la Renaissance, Leuven, Peeters publishers, Collection Synthema, n°12, 2021, 358p.

Quels étaient les représentations et enjeux de la philosophie et de la fiction, leurs échanges, interactions et zones frontières de l’Antiquité tardive jusqu’à la Renaissance ? La fiction peut apparaître comme l’envers de la vérité. Elle n’en est pas moins une forme de recherche de vérité, savoir ou sagesse : Augustin, Macrobe, Martianus Capella ou Boèce, puis les poèmes allégoriques latins du XIIe siècle, les encyclopédies du XIIIe siècle, suivies par des œuvres allégoriques écrites dans le milieu de la cour de Charles V et Charles VI ou encore par Ficin problématisent le statut de la fiction : quelle est sa légitimation philosophique ? Quels sont les rapports entre philosophie et arts libéraux, philosophie et poétique, philosophie et théologie ? Les contributions interrogent le lexique et l’arrière-plan philosophique. Elles examinent aussi les moyens de la fiction pour mettre en œuvre un projet herméneutique et heuristique fécond : la personnification, la prosopopée, les modèles narratifs (banquet ou voie) ou le cadre dialogique.

Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°19 (2021) de la SEMEN-L (p. 74-75).

Séris Emilie et Viti Paolo (dir.), Politien, humaniste aux sources de la modernité, Paris, Garnier, collection Rencontres n° 519, Série Lectures de la Renaissance latine, no 15, 2021

Séris Emilie et Viti Paolo (dir.), Politien, humaniste aux sources de la modernité, Paris, Garnier, collection Rencontres n° 519, Série Lectures de la Renaissance latine, no 15, 2021, 337 p.

Ange Politien a laissé une poésie raffinée, des travaux philologiques érudits, des commentaires philosophiques subtils et une riche correspondance. Des chercheurs italiens et français contribuent à mettre en lumière l’originalité d’une œuvre qui portait bien des germes de l’humanisme européen.

Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°19 (2021) de la SEMEN-L (p. 72).