Lucie CLAIRE, Marc-Antoine Muret lecteur de Tacite. Éditer et commenter les Annales à la Renaissance, Genève, Droz, Travaux d’Humanisme et Renaissance n°DCXXXV2022 (Virginie Leroux)

Lucie CLAIRE, Marc-Antoine Muret lecteur de Tacite. Éditer et commenter les Annales à la Renaissance, Genève, Droz, Travaux d’Humanisme et Renaissance n°DCXXXV2022, 616 p. ISBN : 978-2-600-05860-5.

La critique universitaire a connu un très net regain d’intérêt à l’égard de Marc-Antoine Muret ces dernières années, prenant en compte tant la période parisienne, et notamment le recueil des Juvenilia, que la période italienne. En témoigne, entre autres études et éditions, le collectif Marc Antoine Muret, un humaniste français en Italie, éd. L. Bernard-Pradelle, C. de Buzon, J.-E. Girot et R. Mouren, Genève, Droz, 2020. Lucie Claire vient combler un manque en s’attachant aux travaux multiples que Muret a consacrés à Tacite : un cours sur les Annales, prononcé à l’université de Rome pendant deux années consécutives, en 1580-1581 et 1581-1582, des éditions du premier et du deuxième livres des Annales, quelques chapitres de ses miscellanées, les Variae Lectiones, et un commentaire publié de manière posthume. La leçon inaugurale qu’il prononça à Rome les 3 et 4 novembre 1580, propédeutique au cours tenu pendant deux années sur les Annales, avait déjà fait l’objet de traductions partielles, en français dans l’anthologie des Prosateurs latins en France au XVIe siècle et en anglais dans l’étude de Ronald Mellor et elle a donné lieu à des analyses stimulantes qui font de Muret un précurseur du tacitisme (Alain Michel, Eric MacPhail ou Beatriz Antón Martinez), qui précisent la place qu’occupe Muret dans les débats sur l’imitation de Cicéron (Morris W. Croll, Marc Fumaroli et Christian Mouchel) ou cherchent à identifier ce que la leçon d’introduction révèle de la pratique murétienne de l’enseignement de l’histoire au Studium Romanum (Paolo Renzi). Lucie Claire a le grand mérite d’avoir pris en compte l’ensemble de l’œuvre murétienne et notamment de nombreux documents manuscrits inédits pour la plupart d’entre eux, qui proviennent de la bibliothèque privée de l’humaniste. Grâce aux notes de lecture consignées dans les carnets de Muret et à ses exemplaires personnels annotés, elle reconstitue les étapes et les modalités de l’activité intellectuelle d’un célèbre professeur de la deuxième moitié du XVIe siècle européen et donne accès à une étape fondamentale dans la connaissance de l’historien latin.

Après un chapitre liminaire qui présente la tradition du corpus tacitéen de l’Antiquité à l’édition princeps, la première partie fait le point sur les études qui ont précédé les travaux de Muret, notamment l’édition princeps de Wendelin de Spire et celles de Francescus Puteolanus, Philippe Béroalde, Alessandro Minuziano et Beatus Rhenanus, puis les commentaires d’André Alciat, Beatus Rhenanus, Emilio Ferretti, et Giovanni Ferrerio ainsi que les premières traductions. Lucie Claire cherche à comprendre pourquoi Tacite a éveillé si tard l’intérêt des érudits de la Renaissance et pourquoi la diffusion savante de l’historien antique a été freinée et elle évalue la place de Tacite dans la tradition historiographique et pédagogique.

La seconde partie présente de façon très précise le corpus murétien dont certaines œuvres sont difficiles d’accès, comme les éditions des deux premiers livres des Annales et les volumes possédés par Muret, conservés à la Vaticane, à la Nationale Centrale de Rome ou à la Mazarine. Certains textes font l’objet d’une édition critique annotée et d’une traduction française : c’est le cas des chapitres concernant Tacite dans les Variae Lectiones ou de la leçon inaugurale de Muret dont Lucie Claire analyse la version autographe, contenue dans un manuscrit provenant de la bibliothèque de l’humaniste.

La troisième partie analyse la méthode de critique textuelle de Muret, son usage des arguments externes, son goût pour la conjecture, son attention à la uenustas du discours et aux usages tacitéens, sa conception polémique de la philologie et son intégration dans une sodalitas. Elle évalue sa contribution à l’amélioration du texte des Annales sur la base de cinquante corrections. Elle étudie ensuite la façon dont Muret réhabilite l’historien latin et réfute ses détracteurs en répondant notamment à l’accusation d’immoralité de son œuvre. Revendiquant l’originalité de Tacite dont il fait un modèle d’elegantia et un alter ego, il plaide pour une imitation souple des écrivains de l’autorité. Enfin, Lucie Claire dégage les lignes directrices de la réflexion de Muret sur la nature de l’histoire en lien avec l’émergence du tacitisme.

Suivent une analyse de la réception des travaux de Muret, notamment au sein de la Compagnie de Jésus ; une riche bibliographie et un précieux index, nominum et locorum.

Virginie Leroux

Source : Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°20 (décembre 2022) de la SEMEN-L (p. 43).

Le Siècle des vérolés. La Renaissance européenne face à la syphilis, anthologie dirigée par A. Bayle, avec la collaboration de B. Gauvin, Grenoble, Jérôme Millon, « Mémoires du corps », 2019 (Anne Bouscharain)

Le Siècle des vérolés. La Renaissance européenne face à la syphilis, anthologie dirigée par A. Bayle, avec la collaboration de B. Gauvin, Grenoble, Jérôme Millon, « Mémoires du corps », 2019, 384 p., 26€

Passionnante plongée au cœur d’une pandémie qui soudain déferle sur l’Europe humaniste, conjuguant en un ballet funèbre le sexe et la mort, rongeant les corps, corrodant l’imaginaire collectif, cette anthologie se compose d’une centaine de textes qui évoquent l’apparition terrifiante de la vérole à la fin du XVe siècle. Organisée autour de douze chapitres thématiques, elle permet d’appréhender les enjeux de la découverte de ce nouveau mal, tant sur le plan scientifique et médical, que d’un point de vue plus intime, personnel. Elle éclaire l’influence prépondérante de ce mal sur les représentations idéologiques, politiques, morales et sur la littérature. Les extraits sélectionnés, composés entre 1495 et 1623 et souvent inédits, sont des traductions françaises originales d’œuvres écrites en latin, italien, espagnol, portugais ou anglais ; quant aux textes français du XVIe siècle, ils sont présentés dans une orthographe modernisée.

À travers une riche diversité d’auteurs, de pays et d’époques, cet ouvrage montre la profonde difficulté que les hommes de la Renaissance ont éprouvée à décrire et comprendre un mal jusqu’alors inconnu et devenu en quelques années un fléau universel, signe d’opprobre et de souffrance. Se jouant des frontières géographiques et des genres littéraires, la vérole se trouve ainsi au centre de la réflexion contemporaine et s’invite dans le discours des lettrés et savants, qu’ils soient médecins, historiens, voyageurs, moralistes, théologiens ou encore poètes. Car, au-delà du savoir scientifique proprement dit, cette anthologie cherche surtout à éclairer quelle image de la maladie se forge dans les œuvres littéraires contemporaines, à travers les tout premiers témoignages qu’elle suscite.

De nombreux textes reviennent sur l’étonnante variété des noms attribués à la vérole et sur la conséquence de cet embarras à nommer, la difficile constitution d’un savoir autour de l’origine, des causes, des symptômes et des remèdes à donner au mal. Très vite la vérole suscite une prise de position idéologique : réprobation, soupçon, discrimination deviennent alors le lot des malades, pestiférés d’un genre nouveau qui cristallisent la grande peur de leurs contemporains. D’autres textes prennent pour objet le portrait du corps souffrant, faisant du vérolé un type littéraire, pathétique ou grotesque. Au-delà de l’apparence physique, ce sont aussi les relations sociales que la vérole transforme totalement : la maladie, associée à l’intempérance sexuelle, fait honte, elle provoque suspicion mise au ban, elle devient l’accusation et l’injure par excellence dans la satire. La fin de l’anthologie explore par ailleurs le pouvoir créateur de la maladie à travers la fiction, en montrant combien invention et écriture permettent d’une certaine manière de conjurer la maladie et de s’en affranchir.

Anne Bouscharain

Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°17 (2019) de la SEMEN-L (p. 46-47).

Jean Flori, Chroniqueurs et propagandistes. Introduction critique aux sources de la première croisade, Genève, Droz, 2010

Jean Flori, Chroniqueurs et propagandistes. Introduction critique aux sources de la première croisade, Genève, Droz, 2010.

La première croisade (1095-1099) fut sans aucun doute l’un des faits majeurs du Moyen Age. Elle ouvrit une nouvelle ère dans les relations entre la chrétienté occidentale et le Proche-Orient musulman et chrétien. Aucun événement n’a donné lieu a autant de récits, en particulier les chroniques étudiées ici, qui constituent la source principale de ce que nous savons du déroulement de la première croisade, de ses origines et de ses intentions. Or, ces chroniqueurs n’étaient pas neutres. Tous furent des témoins ou des « spectateurs engagés ». Ils avaient leurs propres préoccupations et leur propre idéologie, que révèlent l’analyse quantitative de leur vocabulaire et l’étude qualitative de leurs thèmes de prédilection. Ce sont dans une large mesure des œuvres de propagande qui interprètent à leur manière les faits que chaque chroniqueur choisit de relater. L’étude de Jean Flori est le fruit d’un quart de siècle de recherche consacré à ces sources. Il remet en cause la datation jusqu’ici admise de ces chroniques, leurs relations d’interdépendance et la hiérarchie de leur fiabilité relative. Cette véritable révolution historiographique rend possible et même nécessaire une nouvelle approche du phénomène de la croisade (notice du site des éditions Droz).

Cette recension est extraite du Bulletin n°6 de septembre 2010 (p. 13).

Hystoria de via et recuperatione Antiochiae atque Ierusolymarum (olim Tudebodus imitatus et continuatus), éd. Edoardo D’Angelo, préf. Jean Flori, Firenze, SISMEL / del Galluzzo, 2009

Hystoria de via et recuperatione Antiochiae atque Ierusolymarum (olim Tudebodus imitatus et continuatus), éd. Edoardo D’Angelo, préf. Jean Flori, Firenze, SISMEL / del Galluzzo, 2009.

Le corpus des chroniques latines de la première croisade (1095-1099) est constitué d’une douzaine de textes, presque tous composés en Terre sainte ou bien en France. Parmi ceux-ci fait exception l’Hystoria de via et recuperatione Antiochiae atque Ierusolymarum, dont est ici proposée la première édition critique. Même si le texte consiste pour une grande partie en la compilation de trois sources bien connues, et de ce fait est resté négligé par les historiens, des comparaisons précises ont permis de mettre en évidence dans l’Hystoria de nombreuses sections « originales », dont une part pourrait remonter à une strate antérieure (et actuellement perdue) du texte, à partir de laquelle se seraient développées les chroniques « jumelles » des Gesta Francorum et de Pierre Tudebode (d’après la notice du site des éditions SISMEL / del Galluzzo).

Cette recension est extraite du Bulletin n°6 de septembre 2010 (p. 13).

Julius Valère, Roman d’Alexandre, traduit et commenté par J.-P. Callu, Turnhout, Brepols, 2010

Julius Valère, Roman d’Alexandre, traduit et commenté par J.-P. Callu, Turnhout, Brepols, 2010.

De tout temps, et particulièrement au Moyen Age, la geste d’Alexandre le Grand a séduit par son panache, son exotisme, et suscité des réflexions sur le sens de l’histoire et sur l’exercice du pouvoir. De cette mémoire culturelle, le présent ouvrage offre un large pan, sous la forme d’un corpus complet et cohérent, centré sur le monde romain du IVe siècle après J.-C. Il contient l’Histoire d’Alexandre de Macédoine de Julius Valère, en trois livres, et quatre opuscules supplémentaires, également consacrés à Alexandre. Ces textes, qui n’avaient jamais été traduits, sont donnés en latin et en français, avec un commentaire (d’après la notice du site des éditions Brepols).

Cette recension est extraite du Bulletin de liaison n°6 de septembre 2010 (p. 12).

Chroniques latines du Mont Saint-Michel ( IXe-XIIe siècle), éd. et trad. P. Bouet et O. Desbordes, Presses universitaires de Caen / Scriptorial – Ville d’Avranches, 2009.

Chroniques latines du Mont Saint-Michel ( IXe-XIIe siècle), éd. et trad. P. Bouet et O. Desbordes, Presses universitaires de Caen / Scriptorial – Ville d’Avranches, 2009.

Cet ouvrage – que complète un second volume, conjointement paru, consacré au Roman du Mont Saint-Michel de Guillaume de Saint-Pair – présente un ensemble de textes latins, avec traduction et commentaires, concernant l’histoire des origines du Mont Saint-Michel. Fruit d’une collaboration entre l’Université de Caen, la ville d’Avranches (dont la bibliothèque municipale conserve l’essentiel des sources ici éditées) et la région de Basse-Normandie, le résultat en est remarquable : non seulement les volumes sont superbes (mise en page, qualité des reproductions, pour ne rien dire du travail éditorial en lui-même), et vendus à un prix plus qu’abordable en regard de leur qualité, mais en plus les textes édités sont également accessibles en ligne, « afin de permettre l’accès d’un public élargi aux sources médiévales de l’histoire du Mont Saint-Michel », dixit le site unicaen.fr, intention louable s’il en est !

Source : Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°5 (décembre 2009) de la SEMEN-L (p. 12).

E. D’Angelo, La letteratura latina medievale. Una storia per generi, Roma, Viella, 2009.

E. D’Angelo, La letteratura latina medievale. Una storia per generi, Roma, Viella, 2009.

L’auteur propose, comme le titre de l’ouvrage l’indique, une histoire de la littérature latine médiévale, de Boèce à Dante, suivant les cinq « âges » du Moyen Age latin (barbare, carolingien, féodal, scolastique et scientifique) et sous l’angle des genres littéraires, tous envisagé successivement, de la littérature savante à la poésie épique en passant par l’historiographie ou l’hagiographie, etc. Voir la table des matières sur le site www.viella.it

Source : Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°5 (décembre 2009) de la SEMEN-L (p. 11-12).

Pagliaroli (Stefano), L’Erodoto del Valla, Messine, Centro Interdipartimentale di Studi Umanistici, 2006

Pagliaroli (Stefano), L’Erodoto del Valla, Messine, Centro Interdipartimentale di Studi Umanistici, 2006

Dans un ouvrage bref et dense, S. Pagliaroli propose une synthèse sur la traduction d’Hérodote par Valla, en revenant sur les témoins qui ont servi à sa traduction (qui relèvent de la famille dite « romaine », très lacunaire pour le livre I) et en étudiant la vaste et complexe tradition manuscrite de cette œuvre à laquelle il joint aussi un examen des imprimés des XVe et XVIe siècles. Rappelons que c’est dans cette traduction que nombre d’humanistes des XVe et XVIe siècles ont connu le grand historien.

Source : Cette recension a été publiée dans le Bulletin de liaison n°4 (juin 2009) de la SEMEN-L (p. 14).